32 jours. J'étais habitué à la grande ville, la capitale et son effervescence.. Je suis parti sans regret, parsemant les maigres souvenirs de mon enfance au loin. La Nouvelle Orléans, c'est enivrant, comme l'absinthe et la muse d'un poète. J'me lasse pas de la chaleur étouffante, des orages de l'après-midi. Cette ville grouille de vie, et j'aime ça, j'me sens à ma place ici. Au milieu des notes de blues qui s'échappent des bars et du spectacle quotidien qu'offrent les rues.

Principalement la liberté, l'exil aussi d'une certaine manière. Oui, quand votre père est un sénateur réputé de Washington, il n'apprécie pas réellement de voir son fils défrayer la chronique parce qu'il est gay. La réponse s'impose alors facilement : l'envoyer au loin le temps que ça se calme. C'était sûrement la meilleure chose à faire pour le bien de ma famille... Du moins, c'est ce que ma mère m'a dit. À vrai dire, je n'ai pas hésité une seule seconde ; tout est bon pour s'éloigner de l'ambiance familiale tendue, non ?
Je ne regrette pas, ici, il n'y a personne pour me dévisager avec déception, personne pour me dire d'étudier le droit, et de me fiancer avec telle ou telle gamine de la haute. Non, ici, je suis maître de mon destin, de ma vie, et je compte bien en profiter, peindre, apprendre, découvrir. Et même si ça signifie vivre dans un appartement miteux, et gagner une véritable misère, au moins la Nouvelle Orléans me rend vivant.

Non. C'est sûrement le dernier endroit sur terre où il pourrait se trouver.. Ils n'appartiennent simplement pas au même monde, eux sont bien mieux dans leur manoir en compagnie de toute la crème de Washington. S'ils m'ont poussé à venir ici, c'est bien parce qu'ils n'y mettraient jamais les pieds pour rien au monde, alléluia.
Il n'y a qu'une seule personne que je voudrais à mes côtés... Mais la réalité des faits me rattrape trop souvent : il ne pourra jamais venir, et ce malgré tout les souhaits que j'aurais beau faire.

J'ai grandi et baigné dans les histoires politiques avant même de savoir marcher, et si ça m'a appris quelque chose, c'est que je détestais ça. La politique est moi, c'est comme l'eau et l'huile, ça ne se mélange pas.. En tout cas, je ne suis pas là depuis assez longtemps pour pouvoir comprendre les tenants et les aboutissants de son programme. Je ne soutiens rien, j'attends simplement de voir ce qui se passe..

Il y a comme un malaise, une ombre. Les rues sont plus glauques et moins sûre.. Ce n'est qu'un sentiment bien sûr, un pressentiment. Néanmoins, je fais confiance à mes intuitions, et souvent, elles me disent de ne pas traîner la nuit dans les quartiers... C'est vrai qu'une fois sortit de City Park, mes épaules se tendent imperceptiblement et je suis beaucoup plus attentif qu'à l'accoutumé... Mais je dois me faire des idées, hein, moi et mon imagination un peu trop débordante.

Nuit d'octobre, atmosphère lourde, triste, qui transpire et me colle au dos. Il est parti, à jamais. Je m'en souviens encore, il me suffit de fermer les yeux pour y être encore une fois. J'avais 17 ans ; l'âge des premiers amours, des idioties entre amis, de l'innocence. Josh. Mon frère cadet, ami et compagnon de toujours... Je l'aimais à en crever : il était le seul à comprendre, à voir. Lui qui faisait la fierté de ma famille, il était le pilier qui nous gardait tous unis.
C'était sa première sortie en boîte, sa première nuit de débauche, et nous nous étions promis de nous éclater comme jamais, juste pour un moment. 22 heures ; alcool dans le sang et la tête qui tourne. Je voyais le monde vriller autour de moi, tandis que mon corps se mouvait en suivant les pulsations de la musique. Boum, Boum. Chaque nerf de mon corps tressautais et vibrais tant je me sentais bien : dans mon élément.
Mais en un battement de cils, il avait disparu. Josh, 15 ans, dans un quartier mal famé de Washington, j'ai senti mon cœur se serrer d'inquiétude. Et un habituel pressentiment s'abattre sur moi. Frénétiquement, j'ai traversé les corps dansants, mes yeux sautant de visages en visages. Où était-il ?
L'air froid m'a frappé quand je me suis extirpé du club. Les rues étaient désertes à cette heure-ci ; un grognement, un cri, étouffé. C'était lui, mes pieds m'ont guidé sans que j'y pense. La ruelle était sombre, trempée d'une bruine suffocante. J'ai à peine entre aperçus mon frère se faire déchirer la nuque par une figure sombre qu'elle avait disparu. Mon corps était parcouru par des spasmes de terreur, et quand je me suis approché du corps inanimé de celui que j'aimais le plus au monde, j'ai senti mon univers s'effondrer.
Les policiers ont parlé d'un assassinat : mais personne n'a jamais su expliquer pourquoi mon frère avait été littéralement vidé de son sang, sans aucune blessure apparente. Ce soir-là, j'ai perdu une partie de moi, et gagné une haine et un désir de vengeance dont je ne me pensais pas capable.

Ce qui se passe en ville ? Je ne suis qu'un pauvre vendeur de disque et vinyle, qui dessine à ses heures perdues... Donc, si vous me parlez des ragots, ce genre de conneries : non pas du tout ?
Après si vous me parlez de l'histoire de cette ville, des contes et légendes qui hantent les rues de la Nouvelle-Orléans, alors oui... Même si tout ça reste assez flou à vrai dire. Et puis toutes ces histoires sont des mythes... Du moins, je crois ?

Pendant longtemps, j'aurais dit non. Ce sont des histoires enfantines qu'on raconte pour distraire les esprits naïfs, des jolis contes qui abreuvent l'imagination et font rêver.. Où craindre. Mais, je ne sais plus trop où j'en suis. J'veux dire, comment Josh est mort ? Comment son meurtrier à pu disparaître aussi facilement après l'avoir vidé de son sang.. Je sais que ça semble absurde, voir complètement fou. Mais si c'était vrai ? Si tout n'était pas aussi rationnel qu'on le pensait ? Pourquoi autant d'histoires qui racontent tous la même chose ? Qui dressent le portrait de ces créatures. Peut-être que Josh n'a pas été tué de la main d'un humain ?

Les frères Grimm ? Dracula ? Frankenstein ? Les films pour ados ? Des crocs ? De la fourrure ? Ce genre de trucs en fait. Ah oui, et de l'ail. C'est sans doute idiot, mais j'ai planqué une gousse sous mon lit.. Juste pour être préparé à tout : même s'il y a surement plus de probabilités que je me fasse écraser par une météorite, que de découvrir l'existence de vampires, loup-garou où autre fantaisie. Je suis vraiment trop crédule, mais je ne peux pas m'en empêcher, y a toujours un doute au fond de moi.

Non. J'préférais qu'on m'arrache les yeux à la petite cuillère que de devenir une de ces choses ( si elles existent, bien sûr ) J'ai vu ce que ces trucs, on fait à Josh, ce qu'ils m'ont enlevé. Et je n'ai qu'une envie, qu'elles existent, parce qu'alors j'aurais quelqu'un d'autre à haïr que moi-même, une cible et un but. Me venger, venger mon frère.